La naissance cachée de Jean Dumergue (1812-1888).

 Jean Dumergue *  était natif du petit village du Valbeleix au coeur des monts d’Auvergne. Il a la particularité de ne pas figurer sur le registre des naissances de sa commune et donc de ne pas avoir eu d’existence légale jusqu’à la régularisation de sa situation, à l’âge adulte. Pourquoi cette absence alors que son acte de mariage en 1835 précise bien qu’il est né le 7 avril 1812 à Vauzelle, hameau perché à mille mètres d’altitude au dessus de Valbeleix ?  Tout laisse croire à une erreur matérielle ou administrative …

Mais parmi les actes établis au cours des années précédentes on découvre la probable raison de cette absence. Voici ce qu’écrit en fin d’année 1806 le maire du Valbeleix sur le registre communal des naissances :

Arch. dép 63 – Valbeleix (an XI-1812 – page 18)

« fin du registre des actes de naissance de la commune du Valbeleix année mil huit cent six qui sont au nombre de vingt-un. Sur laquelle le maire a l’honneur de vous dire qu’il y en a d’autre qui nont point fait de déclaration de leur enfant après quil ont été né. ils ont dit que sil n’y avait point d’actes ils ne seront point portés sur la clase des conscrit à cette année. qu’il y a quatre ou cinq garçon que l’on a point la déclaration pour cela. fait (le) douze mars mil huit cent sept « .

°    °    °

Ainsi, l’absence d’inscription sur le registre officiel ferait suite au refus des parents de déclarer sa naissance dans le souci de « préserver » le nouveau-né de toutes futures obligations légales et en particulier de ses obligations militaires. Si aujourd’hui ce raisonnement peut paraître naïf il faut le replacer dans son contexte et comprendre ce que révèle un tel refus qui durera jusqu’au début du XXème siècle :

  tout d’abord, les populations rurales d’Auvergne furent longtemps « réfractaires à toutes formes  » de recrutement (1). Les raisons sont à chercher dans les modes d’enrôlement : que ce soit le tirage au sort pour la milice de l’Ancien Régime ou les levées en masse de la période révolutionnaire.  En 1812, à l’époque de la naissance de Jean Dumergue, l’armée impériale de Napoléon réclamait de plus en plus de soldats. Or, avait été adopté un système de recrutement inégalitaire fondé sur un tirage au sort auquel s’ajoutait à la fois une possibilité de se faire officiellement remplacer moyennant finance ainsi que l’existence de nombreuses exemptions. Au final, le poids de la conscription reposait en grande partie sur les catégories les plus modestes de la population, très remontées contre l’injustice de ces différents systèmes.

  ensuite, le départ des jeunes auvergnats au nom de principes et d’idées nouvelles imposées par la Révolution et l’Empire « se heurtait (…)  à de terribles pesanteurs culturelles : le poids des traditions, la force des habitudes, l’immobilisme des mentalités » (2). En cause :    l’isolement géographique de nombreuses familles auvergnates dispersées dans la montagne en une multitude de petits villages, hameaux ou fermes isolées et souvent difficiles d’accès. Evidemment, cela ne pouvait favoriser la propagation des idées nouvelles dans la population.

  enfin, le départ aux armées entraînait la rupture du fragile équilibre économique des familles qui reposait sur la migration annuelle d’une grande partie de la population masculine  (3). L’essentiel des ressources familiales provenant de cette migration annuelle, ne plus partir signifiait un surcroît de pauvreté familiale durant plusieurs années auquel s’ajoutait le risque de ne pas voir le soldat rentrer chez lui à la fin de sa période de conscription. D’où la tentation très grande d’utiliser tous les moyens possibles pour échapper à cette obligation militaire : l’absence au tirage au sort, la fuite et le refuge en montagne, la désertion, l’exil … ou la non-déclaration à la naissance. Toutes cela avec la complicité d’une grande partie des habitants qui apportaient aide et secours aux insoumis.

                                                                       °     °     °                                                                         L’omission de déclaration des naissances fut généralement régularisée par une décision judiciaire, parfois retranscrite dans le registre d’état-civil. N’écartons pas cependant les autres raisons pour expliquer l’absence de déclaration de naissance. En effet, on découvre en 1816 que la soeur de Jean Dumergue fut déclarée en mairie par trois voisins en lieu et place du père. La déclaration est datée du 31 juin (!)  mais ne précise pas le jour de naissance de l’enfant . . . Alors : volonté délibérée, négligence ou absence du père ?

                                                                        °     °     °

*      Jean était le fils cadet de Jean DUMERGUE (1764-1846) cultivateur originaire du hameau de Vauzelle  et de Françoise CHAMPEIX (1772-1848), native du hameau voisin de La Chavade.  Leur fils est né en 1812 bien que non-inscrit à l’état-civil. Il se maria en 1835 avec Marie MALLET, originaire du village de La Mayrand. Le couple vécut dans le village d’origine de l’épouse pendant quelques années avant que Jean ne devienne métayer sur le domaine voisin du Rocquet puis sur celui de Réfrenssac (commune de Dauzat-sur-Vodable). C’est à Dauzat que Marie, la deuxième fille de Jean  (et mon AAGm) épousa Louis CHABAUD du village de Compains. Vers 1880, Jean DUMERGUE et son épouse revinrent s’installer comme propriétaires  à La Mayrand avec trois de leurs enfants.                                                                       Jean mourut le 14 octobre 1888, à l’âge de 76 ans et Françoise le suivit deux ans plus tard.

Jean DUMERGUE (1812-1888)           & 1835           Marie  MALLET (1815-1899)
      Marie DUMERGUE  (1838-1915)                 & 1864              Louis  CHABAUD   1839-1919)
                Lucie CHABAUD  (1882-1968)                   & 1909              Joseph POPINEAU (1876-1950)

================

Sources =

 1 – Bernard Vandeplas  – op.cit – (parag. 15)                                                                                    2 – Philippe Daumas -op. cit. (parag. 1)                                                                                            3 – voir l’article « Peilharot de Compains » sur ce blog.                                                                                                                                    

Pour en savoir plus ….

  •   Bernard Vandeplas , « Le problème de la conscription dans la première moitié du xixe siècle : un refus de l’identité nationale ? L’exemple cantalien «                                               Annales historiques de la Révolution française – n° 329 –https://journals.openedition.org/ahrf/669?lang=en )
  • Eugen WEBER, La fin des terroirs : la modernisation de la France rurale 1870-1914, Paris,  éd. Fayard, 1983,  844 p.
  • Philippe Daumas, « Familles en révolution (1775-1825). Recherches sur les comportements familiaux des populations rurales d’Île-de-France, de l’Ancien Régime à la Restauration » – Annales historiques de la Révolution française – n° 329 – p. 161-168    https://journals.openedition.org/ahrf/654

A propos J-L.P.

Amateur en généalogie et soucieux de conserver la mémoire de mes ancêtres, je satisfais en même temps mon intérêt pour la "petite" histoire.
Cet article, publié dans branche CHABAUD, Histoire, est tagué , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Laisser un commentaire